“J’ai envie d'alléger la vie et les sujets” Philippine D’Otreppe
© Luana Bassil
Petite, Philippine d’Otreppe voulait être “peintre fermière”. Et pourquoi pas ? Elle grandit à la campagne, entourée d’animaux, dans le sud de la Belgique. Prend des cours d’aquarelle à 8 ans, a toujours un carnet sous le bras pour dessiner ce qu’elle voit. Aujourd’hui, de son atelier bruxellois, elle peint, dessine, crée des objets en céramique. Sa créativité ne semble avoir aucune limite et passer d’un matériau à l’autre parait si fluide. Attention, talent, droit devant.
“Il y a une part de rêve, d’humour, de légèreté. Il n’y a pas trop de prise au sérieux” me dit-elle quand je lui demande de décrire son univers.
Les céramiques de Philippine d’Otreppe lorsqu’elle a découvert le travail de la terre
Ce sont non seulement ses créations, mais aussi sa manière de créer que j’ai trouvé intéressante. “J’ai commencé la céramique par la méthode traditionnelle, je faisais des objets utilitaires mais j’avais l’impression d’avoir fait le tour. J’ai eu un besoin de créer des choses plus grandes, plus conceptuelles, plus libres. J’avais envie d’une autre dimension.”
Aujourd’hui, ce sont ses expositions qui “dictent” ses créations. Dès lors, elle choisit un thème, et, comme ses baigneuses, plonge dedans, corps et âme. Par conséquent, elle ne travaille plus vraiment sur commande, mais suit plutôt son envie créatrice.
©Gaspard de Spoelberch (2021)
Ça lui permet de créer librement sans contrainte. “Ça vient de moi, ça vient du cœur, sur un thème qui me passionne pendant un certain temps. Ça donne un travail unifié. Je pense à la scénographie, à la création, à l’histoire. À la fin, je suis heureuse de mettre tout ça sur pied et ça a plus de sens pour moi que de créer et vendre au compte-goutte.”
Je trouve que c’est là son point fort, ses expositions immersives. C’est exactement ce dont on a besoin aujourd’hui : s’échapper des bad news, s’abandonner dans des univers inconnus, entrer physiquement dans des histoires neuves. Pour cela, elle ne fait pas les choses à moitié, puisqu’elle présente au public non seulement des croquis, des peintures, des dessins, mais aussi de la céramique -elle va jusqu’à créer des petits oeufs mimosa, des couverts, des citrons, et toutes sortes d’objets miniatures.
En 2022, elle nous embarque à Tunis.
En 2023, elle nous invite à son “Dreamy Picnic”, un déjeuner sur l’herbe un brin surréaliste, au milieu d’un champ de marguerites, sur une nappe vichy, qui nous rappelle l’importance de la sieste salvatrice au pied du grenadier en fleurs.
Exposition “Dreamy Picnic” - Philippine d’Otreppe - Photos de gauche : Luana Bassil
Plus récemment, Philippine rend hommage au quartier de son atelier, les Marolles, et au fameux flea market “Le Jeu de Balle”.
Exposition de Philippine d’Otreppe, “Le jeu de balle” - © Luana Bassil
Bientôt, elle partira au Brésil.
“Vous faites tout ?” lui demandent souvent les curieux. “Oui ! Une fois que la roue tourne, tout s'enchaîne, je n’ai pas envie de m’arrêter. Les idées découlent.” Elle avoue aimer être dans “un tunnel de thème.” “Je suis de nature à m’étaler, alors que quand j’ai un sujet, j’ai une focale. Je le fais à fond et ensuite je passe à autre chose, quitte à y revenir plus tard.”
Généralement, si ce que Philippine crée n’a pas de place ou de sens dans une expo, elle les garde, les met de côté, dans l’idée que ça servira plus tard.
Pendant ses études, ses professeurs lui conseillaient de produire le plus possible. “Créer, sans savoir où ça te mène : c’est là où tu peux débloquer certaines choses.” Prendre des pauses créatives, savoir contempler : bien sûr. Mais arrêter de produire trop longtemps, bif bof. Car finalement, “tout prend du sens à un moment”, même si c’est des années après. “Le fait de puiser dans ses ressources, c’est une bonne chose à faire.” Ne pas baisser les bras quand l’inspiration n’est pas là, donc.
Avant de raccrocher, je lui demande “Qu’est-ce qu’un dessin réussi pour toi ?”. “Un dessin est réussi quand je l’ai fait le plus spontanément possible, quand j’ai réussi à capter une ambiance rapidement, avec quelques traits seulement. Quand il n’y a que l’essence, le principal. Ce ne sont pas les dessins les plus détaillés qui me touchent, ça peut juste être une ligne fine, qui évoque quelque chose, ou un sentiment.”
Les inspirations & adresses de Philippine d’Otreppe :
- Laura Carlin, illustratrice et céramiste anglaise. Elle a une sensibilité dans le trait, dans les couleurs. Ses dessins naïfs m’inspirent.
- Cy Twombly, pour sa manière de dessiner très spontanément.
- Le livre ’The Creative Act: A Way Of Being’ par Rick Rubin m’a beaucoup aidé sur plusieurs niveaux. Pour les personnes créatives qui ne sont pas toujours sûres d’elles ou en manque d’inspiration, j’ai trouvé cet ouvrage inspirant et relativisant.
- Pour les adresses bruxelloises, je pense à mon quartier de coeur les Marolles où se trouvait mon atelier avant de déménager. Il y a plusieurs endroits que j’adore, dont Versus, un fleuriste éco responsable rue Haute, Mademoiselle l’Ancien, une boutique vintage avec de magnifiques pièces qui nous font voyager à travers les époques… et bien sûr, l'incontournable vieux marché aux puces du Jeu de Balle, évidemment, avec un croissant kimchi de chez le boulanger Pinpin (s’il en reste !).
Je pense aussi à Rétro Reset, une super femme qui fabrique des vêtements avec du tissus de récup’… j’ai deux robes absolument géniales qui sont faites à partir de draps de lits années 70 et je les adore plus que tout !
Texte extrait de la newsletter “Créer, sans savoir où ça te mène”, du 13/02/2025